Une
société sans conflit est-elle possible ?
Devoir sur table, 2h
Introduction et 1ère partie
détaillées
Plan schématique pour le reste du devoir
Introduction
La société nous offre régulièrement le
spectacle de conflits : divorces difficiles, affrontements entre casseurs
et forces de l’ordre, actions « coup de poing » pour réclamer un
meilleur salaire ou défendre une usine, etc. Ces conflits consument l’énergie
psychique des individus et menancent parfois l’ordre social. Qu’on les approuve
ou pas, ils viennent perturber la vie individuelle et collective. Ne serait-il
pas souhaitable de les éviter ? À titre individuel, nous pouvons estimer
qu’une règle de prudence consiste à éviter les conflits, autant que les situations
et les conséquences le permettent. Et si l’on doit les affronter, à les
résoudre le plus rapidement possible.
Le sujet : « Une société sans
conflit est-elle possible ? » nous invite à questionner l’existence
du conflit dans la société. Faut-il réaliser à tout prix une société
harmonieuse, dans laquelle les individus et les groupes ne pourraient ou ne
devraient jamais s’affronter ? Le devoir de s’entendre avec les autres
sans admettre la moindre discordance, source potentielle de conflit, serait alors
la morale sociale à laquelle tout individu devrait souscrire.
Afin d’examiner ce problème, nous
verrons dans un premier temps que l’existence d’une société plus harmonieuse
représente un idéal parfaitement légitime. Mais le conflit peut-il être
éliminé ? Nous verrons ensuite que dans la société réelle, le conflit peut
perdre de sa violence, grâce à sa codification dans des formes
institutionnelles. Enfin, nous soulignerons que l’effort pour supprimer le
conflit dans la société représente un danger, dans la mesure où il peut
conduire à l’oppression politique.
I. L’harmonie est un but légitime, que
toute société doit poursuivre pour rendre meilleure la condition de ses
membres.
Parmi les raisons d’être de la société,
la réduction des conflits entre individus ou entre groupes figure en bonne
place.
Si nous observons
la société autour de nous, nous pouvons noter que la réduction des conflits
explique l’existence de règles sociales. Ainsi, la politesse veut qu’un élève
laisse passer un professeur dans le couloir, afin d’éviter qu’ils ne se
percutent en marchant. C’est ce que souligne Pascal au sujet de la
politesse : c’est une manière de « couvrir le moi », comprenez
de réduire les prétentions égoïstes et égocentriques des individus. Chacun a tendance
à se faire le centre du monde, et à vouloir que les autres s’arrêtent pour
l’admirer, ou s’incliner devant lui. La politesse doit consister en règles
simples et en signes visibles, souligne encore Pascal : si un noble a
quatre valais, il doit passer devant celui qui n’en a qu’un seul. Cela ne veut
pas dire qu’il soit plus intelligent en mathématiques, ou plus courageux à la
guerre. Mais si l’on se fondait sur le critère des qualités personnelles, ce
serait une occasion infinie de disputes…
Si nous pensons à l’éducation, au sens
courant du terme, nous voyons qu’un individu sans éducation exprime haut et
fort les désirs qui lui passent par la tête, et qu’il sera prompt à entrer en
conflit avec autrui lorsque ses moindres volontés ne sont pas exécutées
immédiatement. Pour un individu non éduqué, tout est source de conflit.
L’éducation remplit une mission fondamentale, qui est d’intégrer les individus
à la société : cela veut dire que l’individu doit apprendre à se conformer
à des règles collectives.
b) La réduction des conflits améliore la vie
des individus.
Les conflits sont lourds de dangers pour
la vie des individus, voire pour la société elle-même. Ainsi, Machiavel
rappelle que l’histoire de Rome a été marquée par des divisions internes très
graves entre le peuple et les nobles. Il s’appuie sur les récits de l’historien
Tite-Live pour rappeler que la plèbe, s’estimant flouée par les nobles, fait
sécession sur le Mont Sacré en - 493. La noblesse romaine est inquiète des
conséquences : et si un peuple voisin déclenchait une attaque ? Les
nobles acceptent alors de faire des concessions à la plèbe, concessions
traduites dans des pactes ou des lois. En revanche, souligne Machiavel, les
divisions entre le peuple et les nobles ont été si graves à Florence qu’elles ont
conduit plusieurs fois la cité à la ruine. La guerre civile entre Guelfes et
Gibelins, par exemple, s’est traduite par la persécution, la ruine ou l’exil de
nombreuses familles appartenant à l’un des deux camps.
Qu’est-ce qu’être un bon citoyen, sinon
faire en sorte que son comportement ne crée pas sans cesse de conflit, mais
soit le plus utile possible aux autres ? Qu’est-ce qu’être un bon
gouvernant, sinon empêcher que les conflits ne mettent en péril la cohésion et
le dynamisme de la société ? C’est ce que souligne Platon dans la République : dans une cité bien organisée, chacun fait ce qu’il sait faire,
et n’empiète pas sur l’activité des autres. Ainsi, les individus et les groupes
n’entrent pas en conflit. La cité doit rechercher l’unité pour fonctionner le
mieux possible. Si les poètes, par exemple, attisent les passions et font
naître de fausses représentations dans l’esprit des citoyens, alors il vaut
mieux les expulser de la cité.
c) La prévention
des conflits rend nécessaires des institutions, qui donnent à la société sa
forme propre.
Le droit est une création de la société,
destinée à réduire la violence des conflits. Selon Emmanuel Kant, le droit a
pour objet spécifique l'accord des libertés individuelles entre elles. Il ne
s’agit certes pas de faire s’accorder les intentions, les opinions ou les
intérêts, qui peuvent être toujours divergents, mais de leur donner une règle
de coexistence. Le principe du droit est le suivant : « agis
extérieurement de telle sorte que le libre usage de ton arbitre puisse
coexister avec la liberté de tout un chacun suivant une loi universelle ».
Le droit permet à la liberté des uns d’exister en même temps que celle des
autres.
De même, l’action politique est en
grande partie motivée par la nécessité de prévenir les conflits. Chez Hobbes,
les hommes s’affrontent à l’état de nature dans une « guerre de tous
contre tous ». Ils se disputent les ressources disponibles, auxquelles
chacun estime avoir droit. La guerre plonge les hommes dans un état de misère complète.
Pour échapper à la peur, les hommes peuvent renoncer à leurs droits naturels
sur toute chose et confier le pouvoir d’édicter des règles à un
« Léviathan », préfiguration de l’État moderne. Le pouvoir politique
dispose du pouvoir de contraindre les individus, c’est-à-dire d’assurer par les
lois ou la force l’unité du corps politique.
II. Le conflit ne disparaît jamais d’une
société réelle.
a) Le droit met en place des règles qui font échapper le conflit au pur
rapport de forces.
b) C’est la violence concrète de l’affrontement qui est éliminée, pas le
conflit lui-même.
c) La divergence des intérêts et des opinions, constitutive d’une société,
rend impossible la disparition du conflit à l’intérieur d’une société.
III. La recherche de l’harmonie parfaite
représente un risque pour la société.
a) La divergence, source potentielle de conflit, ne serait plus
tolérée : ce serait alors la Terreur.
b) Un pouvoir politique qui ferait régner l’ordre et l’unité à tout prix
serait un pouvoir de nature totalitaire.
c) La société civile doit accorder la priorité à d’autres valeurs plus
essentielles que l’harmonie, comme la liberté.
Conclusion
Il est dangereux de
rêver d’une vie ou d’une société sans conflit. Ne serait-ce pas le signe que
l’on serait incapable d’affronter le conflit ? Accepter le conflit ne veut
pas dire uniquement affronter autrui dans la violence. C’est aussi être capable
d’examiner les causes du différend, afin de maximiser les chances que nous
avons de trouver une solution acceptables des deux côtés. Sans doute le rôle du
politique est-il d’accepter le conflit, au lieu de chercher à le nier, et
d’encourager sa résolution pacifique. C’est la solution qu’a trouvée la
démocratie, à travers l’affrontement organisé des opinions divergentes.