textes de Pascal

 Pascal


1. texte sur la recherche du bonheur


"Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu'à ceux qui vont se pendre. 
Et cependant depuis un si grand nombre d'années jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions. 
Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d'arriver au bien par nos efforts. Mais l'exemple nous instruit peu. Il n'est jamais si parfaitement semblable qu'il n'y ait quelque délicate différence, et c'est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l'autre. Et ainsi, le présent ne nous satisfaisant jamais, l'expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous conduit jusqu'à la mort qui en est un comble éternel. 
Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c'est-à-dire que par Dieu même."


Compléments : 
°  cours de Didier Moulinier, professeur de philosophie, sur la recherche du Bien et du bonheur
° fragment Souverain Bien, n° 2/2, dans l'édition critique en ligne des Pensées de Pascal. Le titre donné par l'auteur à cette pensée est :
Que l’homme sans la foi ne peut connaître
le vrai bien, ni la justice.
° analyse détaillée de ce fragment



2. texte sur la justice 

manuel J. Russ p. 202, éléments pour le commentaire de texte

"Montaigne a tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu'elle est coutume (...) ce qui se peut faire voir de toutes, en les regardant d'un certain côté".

Pascal est un philosophe et un théologien. Il s'interroge sur les limites de la connaissance humaine, limites qui ne concernent pas seulement les sciences, mais aussi la société.

Dans la 1ère partie, Pascal explique qu'il est vain de vouloir trouver un fondement rationnel à la justice. La thèse polémique est affirmée contre Montaigne. 

Or, si le peuple obéit aux lois, c’est parce qu’il croit à leur fondement rationnel. Pascal énonce une condition de l’ordre social. Pour le peuple, la justice n’est pas un ordre de fait contingent, c’est un ordre de droit. Par conséquent, la loi doit reposer sur une idée du juste.

Le seul fait qu’une coutume existe n’est donc pas suffisant pour motiver l’obéissance du peuple. Pascal énonce les motivations de l’obéissance légitime : « car on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice ». Le « on » désigne le peuple, mais inclut aussi le lecteur et l'auteur, et tout homme en général. Sans fondement rationnel, l’obéissance ne va plus de soi.

Présenter la justice comme une autorité de fait, cela revient à accepter que les lois soient de simples coutumes. La coutume deviendrait « tyrannique », au sens où le commandement d’obéir aux lois n'est plus fondé en raison. En ce cas, l’autorité des lois ne serait plus légitime pour l'homme.

Quel type de pouvoir exercent la raison et la justice sur l’homme ? Pascal remet en question l'idée que ce serait la source de toute légitimité. Ce sont également des pouvoirs tyranniques, du point de vue de l'autorité qu'elles exercent sur l'homme. Ce sont des pouvoirs aussi tyranniques que le plaisir, appelé ici « délectation », un mot emprunté au latin de la théologie chrétienne - delectatio, en latin, c’est le plaisir que l’on trouve à quelque chose. De même que nous suivons notre plaisir, nous suivons les commandements de la raison ou les règles non écrites de la justice.

Pascal tire de ce paragraphe une leçon pour la nature humaine. Il tient un discours sur l’homme, présenté comme la confirmation de la connaissance que nous pouvons avoir du cœur humain. Il y a des « principes naturels de l’homme », que l’exigence de raison ou de justice rend manifestes.


Le 2ième paragraphe se présente comme la reprise du raisonnement précédent. Il faudrait se soumettre aux lois, sans demander qu’elles soient raisonnables ou justes. L’obéissance aux lois reste due même si l’on estime que les lois sont injustes.

On ne devrait jamais demander que les lois soient fondées sur la vérité ou la justice. Que désigne ici le « on » ? le peuple ? tout le monde ? l’homme en général ? L'auteur passe alors à la 1ère personne du pluriel : « « nous n’y connaissons rien ». Les capacités cognitives et morales de l’homme sont remises en question. L'homme n'a pas les moyens de donner aux lois un fondement comme la vérité ou la justice. Certes, il en a la prétention, mais comme chacun a son avis sur la question, c’est un sujet de dispute perpétuelle.

Il faudrait donc se contenter de suivre les lois existantes comme s'il s'agissait de simples coutumes, comparables à une coutume vestimentaire ou à une règle de politesse. Du raisonnement tenu par Pascal, le lecteur déduit que la valeur de la loi est celle d’une simple coutume, d'un simple un état de fait. Il faut obéir aux lois, quel que soit ce qu’elles commandent ou interdisent, sans chercher de justification transcendante.

Or, souligne à nouveau Pascal, « le peuple n’est pas susceptibles de cette doctrine". "Doctrine" a ici le sens de "connaissance". Cela veut dire que le peuple, à la différence des personnes habiles qui auront fait ce raisonnement, ne peut se satisfaire d’une telle situation.

Par chance, tout se passe comme si le peuple était enclin à trouver satisfaction dans les lois. Le peuple « croit que la vérité peut se trouver », ou bien assimile directement les lois existantes à la vérité et à la justice. Le peuple croit donc que la vérité ou la justice "est dans les lois", c’est-à-dire que les lois existantes sont des réalisations effectives de la vérité ou de la justice. L'auteur nous montre comment cette croyance naît dans l’esprit du peuple : « l’antiquité » des lois, c’est-à-dire le fait que le peuple les croit très anciennes, contribue pour beaucoup à leur légitimité.

Mais c’est là une erreur de jugement, selon Pascal : l’ancienneté d’une loi n’est en aucun cas la preuve de sa vérité, c’est seulement une preuve de son « autorité », c’est-à-dire de la dignité qui est associée à son ancienneté.

L’obéissance du peuple est donc réelle, mais fragile, conclut Pascal : il suffit de montrer au peuple que les lois ne sont pas une illustration de la justice ou de la vérité, pour qu’il se révolte. En montrant que les lois sont contingentes, en contestant leur valeur de vérité ou de justice, on motive la rébellion. Or, selon Pascal, il est toujours possible de montrer que les lois ne sont pas justes : l’ordre social est toujours précaire. À tout moment peut se produire une révolte motivée par la désillusion du peuple, qui comprend que la loi n’est pas fondée en vérité ou en droit.

De ce texte, on peut en tirer une pensée cynique : l’ordre social doit être fondé sur la force, et pas seulement sur ce que les hommes pensent être la justice.


Compléments 

« Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »
 
B. 298 / L.103 / S. 135

Le droit naturel est perdu (Montaigne) : cela veut dire qu’il n’y a pas de règle de droit évidente aux yeux de tous, reconnaissable par tout être raisonnable.

Pascal, Raisons des effets, 5 (Laf. 86, Sel. 120). 
« Veri juris. Nous n’en avons plus. Si nous en avions nous ne prendrions pas pour règle de justice de suivre les mœurs de son pays.
C’est là que ne pouvant trouver le juste on a trouvé le fort, etc. »


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3. texte sur la raison

Blaise Pascal s'interroge ici sur le rôle de la raison dans la connaissance. La raison est-elle le seul instrument de la connaissance ? Est-elle toujours fiable dans sa démarche et ses conclusions ?

« Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point de part essaye de les combattre. Les Pyrrhoniens qui n'ont que cela pour objet y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours. La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre. Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n'est que faible, si elle ne va jusqu'à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ? Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison. Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison. »

B. 253

Ce texte prend place dans la liasse intitulée "Soumission et usage de la raison", après la liasse A.P.R. (à Port-Royal?) qui incitait à accepter la religion chrétienne avec docilité. Il apparaît alors nécessaire, aux yeux de Pascal, de montrer que la soumission à la Révélation ne constitue pas un renoncement de l'homme à sa liberté intellectuel. Pascal soutient que c'est la raison qui doit accepter de poses ses propres limites. Bien conduite, la raison accepte de recevoir la Révélation. En s'effaçant devant une vérité transcendante, la raison trouve un accomplissement qu'elle aurait été incapable de se procurer à elle-même.

Dans ce texte, l'auteur dénonce deux excès symétriques. Le premier consiste à exclure la raison : c'est la voie qui conduit au fidéisme, ou à la superstition. La foi se retrouve alors privée de tout appui rationnel. L'excès contraire, ou rationalisme, consiste à récuser l'existence de mystères, et par suite, l'origine surnaturelle de la religion.
  Voir source, bibliographie et éclaircissements sur le site http://www.penseesdepascal.fr/
 


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4. le pari



texte

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison, ils déclarent en l’exposant au monde que c'est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas. S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu'ils ne manquent pas de sens. Oui, mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte du blâme de la produire sans raison cela n'excuse pas ceux qui la reçoivent.  
Examinons donc ce point, et disons : "Dieu est, ou il n'est pas." Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Oui ; mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude, et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagnez donc qu'il est, sans hésiter.

"Cela est admirable. Oui, il faut gager; mais je gage peut-être trop". Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n' aviez qu'à gagner deux vies pour une vous pourriez encore gager; mais s'il y en avait trois à gager, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. Et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d'une infinité de hasards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de vie-infiniment heureuse à gagner. Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti: partout où est l'infini, et où il n'y pas a infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner Et ainsi, quand on est forcée à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien.

"Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier".


Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde, et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on s'expose, et l'incertitude de ce qu'on gagnera, égale le bien fini, qu'on expose certainement, à l'infini, qui est incertain. Cela n'est pas ; aussi tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude du gain ; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde selon la proportion des hasards de gain et de perte. Et de là vient que, s'il y a autant de hasards d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contre égal; et alors la certitude de ce qu'on s'expose est égale à l'incertitude du gain: tant s'en faut qu'elle en soit infiniment distante. Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l'est.

"Oui ; mais j'ai les mains liées et la bouche muette ; on me force à parier, et je ne suis pas en liberté ; on ne me relâche pas, et je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse? Je le confesse, je l'avoue. Mais encore n'y a-t-il point moyen de voir le dessous du jeu ?

"Oui, l'Écriture, et le reste, etc." Il est vrai. Mais apprenez au moins votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez le remède : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira.

- "Mais c'est ce que je crains."

Et pourquoi ?  qu'avez-vous à perdre ? Mais pour vous montrer que cela y mène, c'est que cela diminuera les passions, qui sont vos grands obstacles. Fin de ce discours. Or, quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère, véritable. A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices ; mais n'en aurez-vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie ; et qu'à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous reconnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez rien donné.
 

L. [Lafuma ] 418 - B. [Brunschvicg] 233
voir manuel J. Russ, p. 208


Analyse


L’homme est incapable de démontrer l’existence de Dieu. Toutefois, il peut approuver rationnellement le choix de la conversion. C'est ce que Pascal entend montrer au libertin avec l'argument du pari. Le pari doit permettre au libertin d'entrer dans le domaine de la foi, mais par une voie assez inattendue, qui a rebuté ou scandalisé les contemporains.
Le libertin a l’habitude du jeu. Pascal l'invite à miser le fini contre l’infini, c'est-à-dire à engager les plaisirs de son existence finie contre l’existence de Dieu et sa propre béatitude. Mathématicien, l'auteur met en oeuvre sa connaissance de la « règle des partis », ou calcul des probabilités, qui permet à la raison de se déterminer en situation d’incertitude. Le gain étant infiniment supérieur à la mise, la conversion devient attrayante par le calcul de l'espérance mathématique qu'elle représente. Pascal invite en effet le libertin à comparer la valeur de la mise de départ, soit une vie non chrétienne, avec celle du produit de la valeur du gain, la félicité éternelle, et d'une probabilité même infime de gagner. Selon ce calcul, il est rationnel de vivre en pariant sur l’existence de Dieu, alors même que nous n’avons pas la certitude de son existence. Pascal soutient in fine que l’on ne perd rien en vivant chrétiennement, car cela revient à diminuer les passions et à augmenter les vertus. Le pari remplace les traditionnelles preuves de l’existence de Dieu, par la démonstration que le choix de l'existence de Dieu est rationnel. À qui refuserait de parier, Pascal répond d'emblée : « Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqués ». L’existence humaine suppose toujours le pari, dans la mesure où l'existence de Dieu n'est pas certaine. 

Et si tous les discours de conversion échouent ? Pascal envisage lui-même l’échec du pari. Le libertin peut éprouver une contradiction entre la nécessité rationnelle de parier pour Dieu, et l’impossibilité concrète de se convertir. Il reste alors le pouvoir de persuasion propre à l’habitude : « Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration » (L, 821). En répétant de façon mécanique les gestes du rituel religieux, il est possible de façonner le corps, afin d’implanter insensiblement la croyance dans l’esprit. « C’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. » (L, 418). Le corps peut mimer les actes de foi, alors même que le cœur reste insensible à Dieu. « Cela vous fera croire et vous abêtira ». Pascal montre la vanité de l'homme rationnel dans sa prétention à l'autonomie. L’homme ne peut prétendre s’abstraire complètement de son corps, ni viser par lui-même la sainteté. « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » (L. 678).
 



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