samedi 8 juin 2013

Bonheur et plaisir chez Epicure

La philosophie épicurienne est un hédonisme, c’est-à-dire un culte du plaisir. 

Vivre selon la nature, selon Épicure, c’est prendre pour guide le plaisir (en grec, hédonè), « principe et fin de la vie heureuse » (Lettre à Ménécée, 121). Le plaisir nous indique clairement la voie du bonheur. « C’est en partant de lui que nous décidons tout choix et tout rejet, et c’est à lui que nous aboutissons, du fait que nous usons comme règle l’affection, pour juger de tout bien » (LM, 128). 




Épicure rappelle que « le plaisir est la fin, invoquant le fait que les animaux, sitôt qu’ils sont nés, se réjouissent du plaisir et regimbent contre la peine, naturellement et sans raisonnement » (selon Diogène Laërce, 137). L’argument est contesté par les Stoïciens, qui invoquent de leur côté le fait que l’enfant se relève même s’il se fait mal en tombant. Mais pourquoi accepter de suivre le plaisir ? « Il est nécessaire que ce soit par la nature elle-même que l’on juge ce qui est conforme à la nature ou contraire à elle », précise l’Épicurien romain Torquatus, chez Cicéron (De Finibus, I, 9). Le plaisir est une affection antérieure au raisonnement, et par là préservée de toute possibilité d’erreur. Ce n’est pas seulement quelque chose d’agréable : « c’est en partant de lui que nous commençons, en toute circonstance, à choisir et à refuser » (LM 129). En d’autres termes, le plaisir a une valeur pratique fondamentale, au sens où il est principe de choix ou critère (en grec, kritèrion) de la vie heureuse. Nous pouvons et nous devons « rapporter chacune de nos actions, en toute occasion, à la fin de la nature » (MC, XXV). Selon Epicure, la philosophie consiste à orienter nos choix en écartant les désirs vains, pour nous concentrer sur les plaisirs essentiels. 

 Le véritable plaisir est « approprié » (MC, 25) à notre nature. Il est toujours reconnaissable, en ce qu’il convient à notre constitution naturelle. Mais faut-il suivre tout plaisir ? Ce n’est pas le cas, pense Épicure : « tout plaisir, parce qu’il a une nature qui nous est appropriée, est un bien, et pourtant tout plaisir n’est pas à choisir. Il nous arrive de laisser de côté de nombreux plaisirs, quand il s’ensuit, pour nous, plus de désagréments  » (LM, 129). Inversement, certaines peines, si on arrive à les accepter, produiront de plus grands plaisirs par la suite. Tout plaisir est un bien, au sens où il est intrinsèquement bon, mais tout plaisir a aussi un coût : si le coût excède la valeur présente, mieux vaut y renoncer. Épicure affirme que le plaisir le plus fondamental réside dans l’absence de douleur du corps (en grec, aponia) et dans l’absence de souffrance pour l’âme (ataraxia). Quand on n’est pas troublé, le plaisir lui-même devient superflu. L’ataraxie épicurienne n’est pas une forme d’insensibilité, c’est le sentiment de ne manquer de rien.  

Citant Épicure, Sénèque écrit : « Du pain, de l’eau, voilà ce que la nature demande » (Lucilius, 25, 4). L’Épicurien qui médite pour atteindre le bonheur ne retourne en rien à une existence purement animale. Le sage n’est pas affranchi du besoin, ce qui voudrait dire qu’il serait affranchi de la condition humaine, mais il sait entrer sans encombre dans la vie heureuse. « Celui qui connaît bien les limites de la vie, sait qu’il est facile de se procurer ce qui supprime la souffrance due au besoin, et ce qui amène la vie tout entière à sa perfection ; de sorte qu’il n’a nullement besoin des situations de lutte » (MC, 31). Cette maxime réfute le stoïcisme, qui fait résider le bonheur dans l’effort moral et la possession de la vertu. L’épicurisme récuse par ailleurs la concurrence entre individus, aucune richesse ou situation privilégiée ne pouvant nous préserver de la mort.