mardi 19 mars 2013

la matière et l'esprit, documents

Qu'est-ce que la matière ?

La matière est défaut de détermination : selon Aristote, c'est ce qui s'oppose à la forme.

Support de toute détermination, la matière devient alors très difficile à penser, précisément en ce que nous ne pouvons lui attribuer aucune détermination propre.

Plotin est conduit à faire de la matière un non-être, impassible et incorporelle.

"Elle n'est ni âme, ni intelligence, ni vie, ni forme ni raison, ni limite (elle est l'absence de limite), ni puissance (que produit-elle en effet?); déchue de tous ces caractères, elle ne peut être appelée être; il serait plus juste de dire qu'elle est non-être, et non pas au sens où l'on dit du mouvement et du repos qu'ils ne sont pas l'être; c'est le vrai non-être, une image ou un fantôme de la masse corporelle, une aspiration à l'existence."

Voir le commentaire proposé par Noël Pécout : que peut-on dire de la matière ?
Nous ne pouvons dire que ce qu'elle n'est pas.

La connaissance de la matière est aporétique, au sens où la raison tombe dans un embarras dont elle ne peut sortir.
La notion de matière n'est-elle pas fictive ?

Dans le non-être apparaissent des images, presque des fantômes. Nous sommes à l'opposé de l'Un, source de toutes choses. Mais nous rejoignons la pensée de l'Un, qui échappe également à toute détermination.


Pourquoi l'esprit s'oppose-t-il à la matière ?

L'esprit a conscience de soi.

"L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien."

Ce qui distingue l'homme de l'univers, selon Pascal, c'est que l'homme est conscient de ce qui lui arrive. Les forces sont incommensurables, mais l'homme peut se prévaloir d'être conscient.

Voir le commentaire de ce texte : la supériorité de l'homme est affirmée sur un terrain différent du rapport physique des forces. C'est de la conscience de lui-même que l'homme tire une supériorité paradoxale sur l'univers.


Comment se manifeste l'esprit dans la matière ?

Selon Hegel, la conscience de soi est la caractéristique de l'esprit. Ainsi, l'enfant se découvre esprit en voyant les effets de son action dans le monde, par exemple en observant avec plaisir les vagues que fait le caillou qu'il a jeté dans l'eau.

"L'enfant veut voir des choses dont il est lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sorte de reproduction de soi-même qu’est une œuvre d’art."

Voir le commentaire de ce texte tiré de l'Esthétique de Hegel. L'esprit désigne tout ce qui porte la marque du travail humain. La matière, c'est ce que transforme le travail humain. La matière désigne les choses de la nature, que l'homme peut utiliser pour réaliser ses fins.

Jean-Paul Sartre oppose l'en-soi des choses au pour-soi de la conscience humaine. La manière qu'a l'homme d'exister comme esprit nous empêche de le réduire à un "en-soi" figé par avance.

"C'est aussi ce qu'on appelle la subjectivité, et que l'on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons-nous dire par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table ? Car nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n'existe préalablement à ce projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être."

Jean-Paul Sartre, L'Existentialisme est un humanisme, 1946. 

L'homme est ce qu'il se fait. Le fait que l'homme existe doit être distingué du fait qu'une table ou une pierre est, bêtement posée là. L'homme existe d'abord, et il se définit ensuite par son projet, que Sartre conçoit comme l'expression d'une liberté radicale.