LXM. Terminale S5
Entraînement au
commentaire de texte
M. Foglia
préparation au baccalauréat
texte à inclure dans l’œuvre suivie
Texte
Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille
ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi
exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout
ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les
instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science
fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont : comme ils la reçoivent
sans étude ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois
qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature
n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de
perfection bornée elle leur inspire cette science nécessaire, toujours
égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas
qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a
prescrites. II n’en est pas de même de l’homme qui n’est produit que
pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier Age de sa vie ; mais
il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non
seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses
prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les
connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens
lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés.
Pascal, préface au Traité du vide, 1647
Proposition de corrigé
Introduction
a) intérêt du texte
La distinction entre l’homme et l’animal suscite bien
des réflexions. Il paraît difficile d’établir une distinction tranchée entre
les animaux et nous : sont-ils dépourvus de toute forme de pensée ?
de toute forme de sentiment, ou de conscience ? Nous obtenons une réponse
plus claire en nous intéressant à la connaissance, et à son mode d’acquisition.
À la différence de l’animal, qui paraît capable de faire spontanément ce qui
est utile à sa survie, l’homme doit tout apprendre. Ne pourrait-on définir
l’homme comme un animal qui apprend indéfiniment ?
b) problématique
L’animal sait faire ce qu’il sait faire parce que la
nature le lui enseigne. Mais que peut-on penser d’un mode de connaissance qui
ne serait pas conscient ? Par constraste avec les modalités de la
connaissance animale, comment peut-on caractériser la connaissance
humaine ? Avec Blaise Pascal, mathématicien et philosophe du 17ième
siècle, nous verrons que la connaissance humaine fait toujours l’objet d’un
apprentissage, et que l’homme, par conséquent, est toujours capable de
progresser.
autres pistes
pour la problématique
Ce qui fait
la beauté ou la perfection d’une production : est-ce la souveraineté de la
nature, comme chez les animaux, ou l’apprentissage sans limite des
connaissances, comme chez l’homme ? (Gey). On peut se demander en quoi
l’espèce humaine est différente des autres espèces d’animaux en termes
d’apprentissage et de savoir (Fabre).
c) annonce de plan
Dans un premier temps (l. 1-12), Pascal montre que les
connaissances des animaux n’évoluent pas dans le temps : la nature leur a
fixé des bornes qu’ils n’ont pas les moyens de dépasser. La situation de
l’homme, qui ne sait rien naturellement (l. 12 à fin), est à l’opposé de celle
de l’animal : tout ce que nous savons, nous avons dû l’apprendre. Que veut
dire le fait que l’homme soit toujours capable d’apprendre ?
autre
possibilité de plan
« Dans
un premier temps (ligne 1 à 6), jusqu’à « les besoins qu’ils en
ont », Pascal évoque l’absence d’évolution et de progrès chez les animaux.
Il commence par illustrer son point de vue avec l’exemple des abeilles, puis il
généralise cette situation à tous les animaux et implique la nature dans ce
phénomène. Dans un second temps (l. 6 à 13, de « comme ils la reçoivent
(…) » jusqu’à « leur a prescrite »), il montre les limites que
la nature assigne aux animaux. Pour finir (de la ligne 13 à la fin), Pascal
exclut l’homme de ces affirmations, pour le placer dans une situation
d’évolution et de progrès perpétuel » (Vermot-Desroches).
1. Les connaissances des animaux sont immuables.
Dans le premier mouvement du texte, jusqu’à « (…)
les limites qu’elle leur a prescrites » (l.12), Pascal montre que l’animal
a des connaissances sans lesquelles il ne pourrait survivre, mais que ces
connaissances sont nécessairement limitées.
a) Les connaissances des animaux n’évoluent pas dans le temps.
Dans la première phrase du texte, Pascal souligne que
les animaux savent d’instinct ce qu’ils savent, et par conséquent, que leurs
techniques n’évoluent pas. Le temps n’a pas d’effet sur leurs connaissances.
L’auteur développe cet argument en prenant appui sur l’exemple des alvéoles
construites par les abeilles. Ce type de construction est réalisé aujourd’hui
« aussi exactement » (l.2) qu’il y a des milliers d’années.
« Blaise
Pascal élargit ensuite sont point de vue à tous les animaux. Donc, tout ce que
les animaux produisent ou font est quelque chose qu’ils savent faire depuis
longtemps et qui n’évolue jamais » (Fabre). Ces connaissances sont données
par la nature. « Pascal nous dit que la culture de l’animal est apportée
par quelque chose d’autre que par l’apprentissage, elle ne serait donc pas
cultivée par lui-même, elle lui serait donnée à la naissance et non au cours de
son développement » (Kolanek).
Les effets de la connaissance animale se déploient
toujours avec la même précision. L’animal n’est pas susceptible de faillir.
L’intention de Pascal est sans doute déjà de faire contraster la situation de
l’animal avec celle de l’homme. L’animal, à la différence de l’homme, n’a pas
d’histoire. C’est un avantage, au sens où l’alvéole que construit l’abeille est
d’emblée parfaite, alors que le plus souvent, l’homme commence par des essais
manqués. Mais c’est aussi un inconvénient évident, car l’abeille n’est pas
capable de faire autre chose qu’un hexagone.
b) Les connaissances des animaux sont limitées.
- parce qu’elles ne sont
pas vraiment conscientes
Pour désigner l’effet de ces connaissances, Pascal
parle de « mouvement occulte ». Notons qu’il décrit les effets ce que
nous entendons aujourd’hui par instinct, mais qu’il n’utilise pas le mot,
qui sera popularisé au 19ième siècle seulement. Les animaux agissent
pour des raisons qu’ils ignorent : leur activité se fait sans qu’ils en
aient une conscience claire.
« Les
abeilles ne font que reproduire la forme de la ruche sans avoir pourquoi elle a
cette forme » (Peticolin).
C’est en réalité la nature qui les instruit (l.4),
pour leur permettre de faire face à la « nécessité » (l.5) biologique
de la survie. Les animaux ne sont pas véritablement maîtres de ce qu’ils
savent : selon Pascal, ils doivent tout à la nature, qui leur permet de
survivre.
« Pascal dit de cette instruction
qu’elle est « donnée » (l. 7), mot qui reprend et résume toute
l’argumentation qui précède ; c’est la nature qui donne les connaissances.
Elles ne sont donc pas issues d’un apprentissage, elles sont innées. »
(Zahler)
- parce que leur seule
fonction est de satisfaire un besoin vital
Ces connaissances sont limitées par la satisfaction
des besoins. Les connaissances de l’animal restent temporaires, au sens où
elles sont limitées par la satisfaction des besoins. Pascal évoque une
« science fragile » : n’étant pas le fruit d’un apprentissage,
la connaissance se perd comme elle est venue.
« La
nature permet la vie, pour l’animal, mais ne lui accorde pas le privilège de
s’approprier la science ou de la modifier. Il en est en quelque sorte
esclave » (Gey).
L’auteur souligne que les connaissances des animaux
n’ont pas été acquises par « étude » : la conséquence, c’est que
ces connaissances ne durent pas, si les animaux n’en ont plus besoin. Les
animaux n’ont pas le « bonheur » (l. 6) de conserver la connaissance
acquise, ce qui veut dire qu’ils n’ont pas de mémoire. Tout se passe donc comme
si la connaissance mise en œuvre par les animaux était toujours
« nouvelle » (l. 8). Le lecteur comprend, par comparaison implicite
avec l’homme, que l’homme doit tirer un avantage de l’étude et de la mémoire.
- parce que la nature les
maintient dans des limites.
Les connaissances de l’animal n’évoluent pas. Pascal
évoque une « perfection bornée » (l. 9). Il s’agit bien d’une
perfection, au sens où l’animal fait parfaitement bien ce qu’il fait. Mais
cette perfection est bornée, la notion de borne ici ayant un sens péjoratif. La
vie animale est maintenue dans des bornes étroites, ce qui veut dire qu’elle a
un côté automatique, voire mécanique.
La « science nécessaire » dont parle
l’auteur n’a pas le sens de vérités qui ne pourraient être autrement, comme les
mathématiques : la nécessité doit toujours se comprendre dans ce texte
comme ce qui est biologiquement indispensable à la survie. La connaissance
animale apparaît comme une condition de la survie, mais aussi comme une
conséquence de celle-ci. Aussi ne peut-elle s’étendre au-delà de la contrainte
biologique.
Pour Pascal, l’animal n’est pas susceptible de
progrès. La vie animale se déploie dans des limites prescrites par la nature.
Pascal attribue à la nature une intention bienveillante : sauver les
animaux du dépérissement. Mais il lui attribue une autre intention, qui fait
contrepoids à la première : la nature ne donne pas aux animaux la
possibilité de dépasser les limites fixées une fois pour toutes.
« La
nature régule les flux de ce savoir, pour que les animaux n’en aient ni trop,
ni trop peu. La nature le fait pour maintenir un équilibre parfait, d’une part
pour ne pas causer l’extinction d’une espèce, qui aurait alors un savoir
inférieur à une autre, et d’autre part pour ne pas qu’une espèce acquiert un
trop grand savoir susceptible de dépasser celui des autres, voire de dépasser
les limites de la nature, et la nature elle-même » (Millot).
« On se
demande pourquoi la nature n’accord pas plus de savoir aux animaux, et pourquoi
ils ne se servent pas de ce qu’ils apprennent pour évoluer »
(Vermot-Desroches, conclusion partielle de I).
« Et
puisque son savoir est instinctif, et non appris au cours de la vie, l’animal
ne peut savoir ce qui a été donné auparavant à ses ancêtres. Les animaux ne
peuvent pas laisser de traces de leur passé, et donc de l’évolution de leur
culture. » (Kolanek).
2. Les connaissances de l’homme sont en progrès.
Dans un second temps, à partir de « Il n’en est
pas de même pour l’homme (… ) » (l. 12), Pascal évoque le cas de
l’homme, pour mettre en évidence tout ce qui oppose l’homme et l’animal.
L’homme apparaît comme un être dépourvu de toute connaissance, lorsqu’il
commence à vivre. Cette faiblesse insigne se retourne ensuite en
supériorité : l’homme est un être de progrès, qui peut apprendre à partir
des circonstances les plus variées.
a) L’existence humaine n’admet pas de limite
naturelle.
Pascal veut montrer que l’homme est naturellement fait
pour « l’infinité », au sens où il n’est obligé à rien en particulier
par la nature. Son ignorance de départ va lui permettre, paradoxalement, de
franchir toute limite exisante. L’usage du terme « infinité » (l.
13), chez Pascal, nous fait penser à la destination religieuse de l’homme, au
sens où seul l’infini pourra combler le cœur humain.
b) L’homme doit avoir appris tout ce qu’il sait.
L’homme part d’un état d’ignorance complète. La nature
ne nous enseigne rien lorsque nous naissons. Sans l’aide apportée par d’autres,
sans l’éducation réalisée par les parents, l’enfant serait condamné. Cette
infirmité constitue une exception dans la nature. L’homme est-il incapable
d’assurer sa survie ? Non, car l’homme est capable d’apprendre par
lui-même, souligne l’auteur. Toutes les connaissances dont il dispose, il les
acquiert par lui-même. Pascal souligne la nécessité de l’apprentissage pour l’homme.
L’infirmité se retourne en supériorité :
« l’homme s’instruit sans cesse dans son progrès » (l.14), ce qui
veut dire qu’il apprend tout au long de la vie. L’apprentissage n’est pas
limité dans le temps à la petite enfance. L’usage de la notion de progrès par
Pascal retient notre attention, dans la mesure où le sens de la notion ne
paraît pas tout à fait le même qu’aujourd’hui : « dans son
progrès », cela veut dire d’abord en avançant tout au long de la vie.
L’amélioration, qui est aujourd’hui le sens du mot progrès, n’intervient
qu’ensuite : c’est la conséquence de la capacité à s’instruire en
avançant.
« L’homme
apprend également par lui-même, donc chaque génération est plus instruite que
la précédente » (Fabre).
c) L’homme est capable d’apprendre à partir des
expériences des autres.
L’homme apprend non seulement de ses expériences, mais
aussi de celles des autres. L’auteur souligne que l’homme ne recommence pas
tout à chaque génération. La connaissance humaine est cumulative, au sens où
ceux qui enseignent transmettent ce qu’ils savent à ceux qui apprennent. Nous
pouvons ainsi bénéficier des connaissances acquises par les générations qui
nous précèdent.
L’homme peut compter sur sa mémoire. Le processus
d’acquisition de la connaissance est cumulatif dans le temps : ce que nous
avons appris une fois, nous pouvons nous en souvenir grâce à nos capacités
mémorielles. L’auteur évoque alors une mémoire artificielle, fondée sur les
« livres » (l.17), qui sont des dépositaires de la connaissance. Le
fait d’écrire un livre est une manière de transmettre ses pensées aux
générations futures.
Conclusion
La réflexion sur les modalités de la connaissance
animal nous en apprend beaucoup sur nous-mêmes. En tant qu’hommes, nous devons
apprendre ce que nous savons. C’est un terrible handicap par rapport aux
animaux : aucune connaissance ne nous est donnée, aucune perfection ne
nous est immédiatement accessible. D’un autre côté, nous comprenons aussi avec
l’auteur que c’est un avantage : ce que nous savons n’est pas limité par
principe.
« La
culture est infinie pour l’homme » (Kolanek).
Même si nos facultés sont limitées, nous pouvons
apprendre en toutes circonstances, et mettre à profit les connaissances des
autres hommes. La connaissance humaine se transmet et s’accumule. Grâce à la connaissance des anciens, nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, souligne Pascal dans la préface au Traité du vide, à la suite de Bernard de Chartres. Ainsi, nous
pouvons comprendre que l’homme est susceptible d’un progrès sans fin dans ses
connaissances, et dans les applications techniques qu'il peut en tirer.
L’argumentation de Pascal doit être critiquée, s’il
est vrai que les animaux apprennent eux aussi par expérience. L’opposition
entre l’homme et l’animal ne semble pas aussi tranchée que l’auteur la
présente. Par ailleurs, les hommes sont-ils toujours capables d’apprendre à
partir de l’expérience ? Il y a des désirs qui les rendent aveugles,
quelles que soient les leçons que la réalité leur a déjà données.